Amal, 5 ans vient d’un pays du Moyen-Orient. Elle est née et n’a vécu que dans les camps. Elle a changé de pays à plusieurs reprises.
Elle arrive dans une école maternelle. Les institutrices semblent décontenancées. Amal n’écoute pas, ne suit pas les enfants, ne colorie pas, ne dessine pas, ne parle pas, ne joue pas, etc…
Je regarde l’enfant et j’observe cependant une attitude, une façon d’être au monde qui est « vivante ». Elle bouge, son corps est habité, son regard a une personnalité. Amal est un sujet qui vit, qui respire, qui vous regarde. Son petit être respire l’intelligence.
Étude de cas
Les institutrices sont désemparées, Amal vient à l’école tous les jours, mais rien n’y fait, elle ne fait rien, ne suit aucune consigne. Cependant elle est. Elle est là !
Les enseignantes sont dans l’impasse.
Avec la titulaire de l’enfant, nous décidons que je travaillerais en classe, avec un petit groupe de 4 enfants, dont Amal.
Alors que s’y passe-t-il dans cette séance ?
1°)Le regard et la voix de l’intervenante
Avant de nous installer à la table de travail, j’observe Amal, qui est dans une activité classe avec tous les autres enfants. Nos regards s’accrochent et j’adresse un regard qui louche à l’enfant qui étonnée détourne les yeux. A cet effet du regard, la petite fille me suit -assise auprès des autres enfants-du coin de l’œil et vérifie si je la regarde.
Furtivement, elle tourne la tête dans ma direction et une fois sur 3, elle remarque que je la suis également du regard.
Ce jeu de regard se cherche, s’évite, s’accroche, se sourit, se retombe dessus, etc… Aucun langage entre nous, à part celui du corps dans une classe bondée d’enfants qui répondent à l’institutrice, qui jouent, qui marchent.
Cette connexion entre l’enfant et moi passe inaperçue aux yeux de toutes et de tous.
Attablée avec les 4 enfants, je m’adresse à eux singulièrement en articulant correctement le prénom de chacun et surtout en les regardant dans les yeux un par un. Je dis « bonjour » et Amal me répond droit dans les yeux un « bonjour » ferme et clair.
Cette enfant de petite taille a une voix claire et déterminée.
Je m’engage dans un travail proposé par l’enseignante, c-à-d 2 feuilles sur lesquelles il faut 1° dessiner un bon homme et 2° compter, colorier et écrire les chiffres de 1 à 5.
Je m’adresse à Amal avec une voix aussi claire et déterminée que la sienne tout en la fixant et en expliquant la consigne. Nos yeux se croisent et je ne la lâche pas, je soutiens son regard qui ne vacille pas. Amal m’écoute. Je parle en français. Amal parle en arabe. Aucune de nous parle la langue de l’autre.
Et pourtant… Amal comprends les consignes, il faut dire que je dessine également un bon homme sur ma propre feuille. Je la regarde et je l’interroge des yeux genre « t’as vu ce qu’il faut faire ? ». A ce moment précis je n’utilise pas ma voix. J’oralise uniquement pour nommer les parties du corps, c-à-d ici je dessine une tête, là, je dessine un corps, des oreilles, etc… sur mon dessin.
Je n’exprime aucune demande oralement. J’utilise la voix que pour dénommer.
Le regard par contre traduit une demande, une invitation, un « est-ce que tu dessines un visage ? Tu viens jouer avec moi ? Etc… ».
Amal tient très bien son crayon, elle dessine un cercle qui fait office de visage, ensuite 2 lignes parallèles représentant le corps, ensuite 2 jambes, etc…
L’enfant a dessiné un bon homme en entier, avec les yeux, la bouche, le nez, les bras.
Elle n’exprime pas ses sentiments. Est-elle contente ? Fière d’elle ? Je ne sais pas.
Par contre, moi, j’oralise à quel point ce bon homme est magnifique, qu’il a de belles oreilles et ainsi de suite.
Amal regarde son dessin et mes réactions. Ici je fais grand bruit et j’appelle Mme G. qui très fière du résultat encourage et félicite la petite fille.
Amal ne dit rien, aucun son ne sort de sa bouche. Elle place son travail dans son casier à ma demande et s’en va. Pas plus de contact entre nous.
Cette petite capsule, toute simple est le point de départ d’une acceptation de l’enfant face à la demande de l’intervenante. Une demande sans contrainte, en fait sans demande orale, une demande non intrusive.
Ce serait plutôt une invitation, une proposition faite à Amal.
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